4.3 - RÉFLEXION SYSTÈMIQUE SUR LA DIFFUSION DES MUSIQUES ACTUELLES ET AMPLIFIÉES EN BRETAGNE.



4.3.1 - Éléments du système.


Dans le paragraphe précédent, on pouvait constater que les dispositifs d'aide à la diffusion des musiques actuelles amplifiées sont très éloignés du principe des économies d'échelle qui veut que chaque échelon territorial gère tout ce dont il peut s'occuper, et que le reste part directement dans l'attribution de l'échelon supérieur. Des modèles d'organisation territoriale de l'aide à la diffusion peuvent être envisagée. On peut citer le suivant qui imagine "des communes apportant leur aide à la diffusion d'artistes, des structures intercommunales (à l'échelle des pays, véritables bassins de vie urbains ou ruraux regroupant plusieurs dizaines de communes, et prônés par la récente loi d'aménagement du territoire), soutenant les équipements culturels (car leur fréquentation n'est jamais entièrement communale). Les départements et les régions proposeraient des aides aux équipements, structurant à l'une ou l'autre de ces deux échelles, et aux musiciens ayant une reconnaissance grandissante et déjà plus locale. L'Etat remplirait alors un rôle de diffusion du rock français à l'étranger, d'aide aux équipements nationaux et aux groupes prétendant se produire sur les scènes nationales ou internationales. Les réseaux de salles et de découvertes viendraient se greffer sur cet emboîtement d'échelles d'intervention, assurant une certaine cohérence et une cohésion du système en empêchant de trop fortes inégalités, inévitables lorsque les prises de décision sont décentralisées (inégalités spatiales des politiques selon les régions, les départements et les communes)."
1

Le tableau ci-dessous compare les modes de financements des principaux festivals bretons de musiques actuelles et amplifiées (le festival Interceltique de Lorient est cependant basé sur des musiques traditionnelles celtes avec certaines soirées plus ouvertes sur les musiques celtes actuelles). On constate qu'il y a des festivals beaucoup plus subventionnés que d'autres tel que Art Rock à Saint-Brieuc et Les Transmusicales de Rennes qui ont plus de 40% de leur budget qui est pris en charge par les collectivités (Etat, Région, Département, District et Ville) alors que d'autres festivals de même ampleur Les Vieilles Charrues, La Route du Rock ou Saint-Nolff ont moins de 10% de subventions. On peut s'étonner de la faiblesse des sponsors dans les musiques actuelles qui ne dépasse pas en moyenne 8,5% du total du budget. Les spécialistes du marketing ne semblent pas accorder beaucoup d'importance à ces événements pourtant de plus en plus fréquentés par un public jeune.

 

Tableau 14 : La répartition du financement des festivals bretons de musiques amplifiées.


FESTIVALS

subventions

autofinancement

sponsors

Budget total

Art Rock 96

47%

35%

5%

2,8 MF

La Route du Rock 98

10%

78%

12%

4,5 MF

Les Transmusicales 97

45%

45%

10%

9 MF

Les Vieilles Charrues 98

4%

94%

2%

8 MF

Festival Interceltique 96

24%

62,5%

13,5%

16,5 MF

Festival de Saint-Nolff 98

5%

85%

10%

3 MF

Moyenne

22,5%

66,7%

8,5%

7,3MF

sources : Rapport Dechartre et enquête DEA S. Rouault, 1998.

Malgré la forte croissance des financements publics, la plupart des organismes et équipements de musiques actuelles ne parvient pas à échapper à une grande précarisation de l'emploi. Cette précarité se caractérise non seulement par l'impossibilité d'appliquer des conventions collectives adéquates, mais aussi par un recours massif aux divers dispositifs d'aide à la création d'emploi ou de réduction du chômage (CIE, CES, Contrat renforcé, Emploi jeunes, etc...) qui par nature, ne constituent que des aides temporaires dont le montant est relativement faible ou qui ne sont destinées qu'à financer qu'une partie des charges salariales.

Le tableau ci-dessous montre le grand contraste entre l'emploi artistique et non artistique dans le secteur des festivals bretons qui par leur statut associatif génèrent peu d'emplois permanents et utilisent beaucoup de bénévoles très motivés par les métiers de la musique ou la volonté de s'impliquer dans une action commune. Le nombre de bénévoles annoncé par le festival Les Vieilles Charrues 98, dépasse le millier, ce qui symbolise l'implication de la population locale dans cet événement du Centre-Bretagne. On peut également noter l'implication des 450 bénévoles des associations locales sur le festival de Saint-Nolff 98 (cf 4.1.2)

 

Tableau 15 : L'emploi non artistique dans les festivals bretons de musique amplifiée.


FESTIVALS

permanents

intermittents


/ bénévoles

Total emplois non artistiques

Budget


total

Art Rock 98

1

30 / 70

101

2,5MF

La Route du Rock 98

5

30 /140

186

4 MF

Les Transmusicales 97

6

40 / 200

246

9 MF

Les Vieilles Charrues 98

2

35 / 1000

1437

8 MF

Festival Interceltique 96

3

55 / 400

458

16,5MF

Festival de Saint-Nolff 98

32

30 / 500

533

3 MF

sources : Rapport Dechartre et enquête S. Rouault, 1998.


 

Le nombre de production par festivals est très important en Bretagne et notamment à Lorient pendant le festival Interceltique avec un grand nombre de bagad. Les festivals de musiques actuelles produisent en moyenne entre 7 et 10 groupes par jours sans compter les DJ qui mixent entre les groupes ou dans les soirées consacrées aux musiques électroniques comme la soirée Planète aux Transmusicales ou la soirée Explosion à Art Rock et la Stage à Saint-Nolff. Si on incorpore le DJ aux autres productions, on approche une moyenne de 13 productions par soirs.

La part du budget consacrée à l'artistique dans les festivals ne cesse de croître. Cet élément est très important pour comprendre l'évolution de certains festivals confrontés à l'inflation du cachet de certains artistes. Dans le cas d'un concert ponctuel, les organisateurs qui ciblent sur un public prennent souvent des risques car ils ne bénéficient pas de l'aspect festif des festivals. Néanmoins ces concerts ponctuels sont souvent organisés dans des salles ce qui élimine les risques climatiques mais limite le nombre d'entrées.

 

Tableau 16 : L'emploi artistique dans les festivals bretons de musique amplifiée.


FESTIVALS

Masse salariale


artistique

Total emplois artistiques

nombre de


productions

Art Rock 96

0,95 MF

120

37

La Route du Rock 98

0,85 MF

120

21

Les Transmusicales 97

2,0 MF

300

90

Les Vieilles Charrues

2,5 MF

150

25

Festival Interceltique

2,1MF

100

250

Festival de Saint-Nolff

0,90 MF

80

19

sources : Rapport Dechartre et enquête S. Rouault, 1998.

 


4.3.2 - Le système de la diffusion des musiques actuelles et amplifiées.


Avant d'analyser le système de la diffusion musicale actuelle en Bretagne, nous allons d'abord éclaircir la notion de système et notamment en géographie. Il faut également bien différencier la notion de diffusion musicale, action de produire un concert devant un public, de celle de diffusion spatiale de la pratique musicale (cf 3.2.2).

Un système est un ensemble d'éléments. En géographie il regroupe un ensemble d'espaces, caractérisés par des attributs, des variables qualitatives et quantitatives, qui sont en interaction. Ces interactions sont de quatre types
3 :
- les premières, entre les attributs, constituent la structure fonctionnelle.
- la structure spatiale est l'ensemble des interactions entre les éléments spatiaux.
- les interactions entre la structure fonctionnelle et la structure spatiale créent un troisième type de structure.
- il faut ajouter les interactions entre le système et son environnement, défini comme l'ensemble des systèmes extérieurs ayant une action sur le système retenu.

André Dauphine explique aussi que "les systèmes géographiques ont des caractéristiques identiques aux autres systèmes. Ils possèdent des propriétés externes : une ouverture plus ou moins importante, un équilibre stationnaire, oscillatoire ou dynamique, une stabilité variable, et une qualité d'adaptation.(...) A l'intérieur d'un système s'individualisent des sous-systèmes(...) Les systèmes géographiques possèdent aussi des propriétés qualifiées de dynamiques, l'irréversibilité, une entropie, et des boucles internes d'autorégulation, qui unissent les éléments et leurs attributs, ou des boucles externes d'autorégulation, qui lient le système à son environnement."
4

Le système de diffusion des musiques actuelles en Bretagne (cf
figure 2) peut être analysé par une approche économique et géographique. L'approche économique permet d'identifier les conditions minimales nécessaires à la pérennisation du système, c'est dire un minimum de revenu financier pour les différents acteurs et spectateurs des musiques actuelles. L'approche géographique de ce système essaie de comprendre l'organisation spatiale des concerts et donc de ses organisateurs (associations et producteurs privés) ainsi que les disparités spatiales des publics qui fréquentent ces concerts.

Le système de diffusion des musiques actuelles et amplifiées en Bretagne est décomposé en trois sous-système ; la production culturelle (non-financière mais artistique) et la consommation culturelle d'une part qui répondent à la demande culturelle et la production financière d'autre part qui répond au besoins économiques nécessaires à la rencontre des musiciens et de leur public. Cette simplification du système permet d'observer les flux financiers, les bénéficiaires et les blocages du système.

Tout individu qui éprouve une demande musicale soit en voulant la pratiquer ou seulement l'écouter peut rentrer dans le système. Si cet individu devient musicien, il va alors produire une oeuvre qui nécessitera un investissement en temps et en argent (achat de matériel). Même si les musiciens jouent souvent pour le plaisir de jouer, il arrive qu'une partie d'entre eux ait envie de faire connaître leur oeuvre et la partager avec un public. Le système de la diffusion de l'oeuvre prend alors tout son intérêt. Les groupes peuvent d'une part se produire dans des petits lieux sans avoir de support enregistré même si cela devient de plus en plus rare avec l'explosion du nombre de groupes. La spécificité bretonne du nombre de petits lieux de diffusion musicale est assez propice au développement des tournées de petits groupes débutants ou plus confirmés.

Il est cependant de plus en plus difficile de jouer dans un petit lieu sans déclarer un cachet même pour des amateurs car la législation est devenue de plus en plus sévère. Les associations ont donc pris le relais et peuvent organiser des concerts. Quand un groupe commence à avoir de l'assurance et une oeuvre conséquente, il s'oriente souvent vers des producteurs, des tourneurs et des maisons de disques qui appartiennent comme les associations au sous-système de la production financière de la musique. Sans ces intermédiaires, le public ne pourrait pas découvrir toutes les oeuvres sur disque ou en concert.

Afin de réglementer tout ce circuit de la diffusion musicale, les organismes publics jouent un rôle très important d'arbitre (ordonnance de 1945 et loi de 1992) même s'ils semblent un peu en décalage avec la réalité du développement des musiques actuelles. Les organismes publics qui ont aussi un devoir de développement culturel envers les administrés doivent alors aider à la diffusion des musiques actuelles pour que les artistes puissent rencontrer leur public et vivre de cette diffusion. On a vu précédemment que les collectivités territoriales se retrouvent souvent au centre des sollicitations car elles sont à la fois subventioneurs et financeurs d'équipements utilisés pour la diffusion musicale.

D'autres organismes relevant du public et du privé comme la SACEM sont chargés de protéger les oeuvres et de les rétribuer en prélevant une taxe sur la diffusion. Le système de la diffusion s'autorégule ainsi. Cependant les artistes vivant correctement de leurs droits d'auteurs sont peu nombreux alors que les prélèvements de la SACEM touchent tous les lieux de diffusion. Or le concert semble être un mode de diffusion de plus en plus prisé face au disque qui suit un ralentissement dans son évolution dû certainement au coût trop élevé et nouveaux moyens de communication et de copie. Le média radiophonique reste néanmoins un très bon mode de diffusion d'une oeuvre et favorise la consommation de ce bien culturel.

Il est vrai que l'approche économique permet une meilleure perception du monde du disque et des médias alors que l'approche spatiale et culturelle semble plus adéquate à comprendre le développement des concerts et de leur public. Les années 90 ont permis l'éclosion des concerts et des festivals de musiques actuelles en France et particulièrement en Bretagne avec l'apparition de groupes sortant des critères de marketing et parvenant à vivre correctement de leur oeuvre en favorisant plus la scène que le plan médiatique. Certains de ces groupes ont même réussi à vendre beaucoup de disque grâce à leurs concerts. On peut citer le succès grand public de groupes comme La Mano Négra, Louise Attaque ou plus récemment des bretons de Matmatah (30 000 EP vendus en auto-production sur la Bretagne). On peut noter que l'essor de la techno grâce à la scène est assez similaire avec en plus un renouvellement permanent de la performance "live" des DJ's.

Le système de la diffusion musicale est donc bien dynamique et permet de se renouveler constamment, cependant on peut observer que sans le financement public on risquerait une dérive trop commerciale de l'offre qui tendrait vers le produit culturel facilement consommable et standardisé. L'Etat joue donc un rôle régulateur du système, parfois trop dans le cas des concerts et du taux de TVA sur les disques (20,6% contre 5,5% pour les livres). Les milieux associatifs et privés permettent néanmoins d'élargir l'offre de diffusion des musiques actuelles et d'assouplir la gestion de la culture souvent monopolisée par les organismes publics.

La spécificité du système breton réside dans l'identité culturelle et musicale très forte dans la région où le nombre de lieux de concert est le plus important en France. La musique est en effet très présente dans la culture bretonne et l'essor des fest-noz en est la preuve la plus évidente. Habituée à cette offre musicale traditionnelle, une partie de la population bretonne s'intéresse également aux musiques actuelles et futures sans oublier leur racines car quand on ne sait pas où on va, il vaut mieux savoir d'où on vient! Cette modernité musicale bretonne constitué de mélange des cultures peut être symbolisée par des artistes comme Denez Prigent ou Alan Stivell pour les plus connus mais aussi par la programmation des concerts et des festivals tels que les Transmusicales, Les Vieilles Charrues, Saint-Nolff, La Route du Rock, Art Rock etc...

 







CONCLUSION GENERALE


Tout au long de l'étude, on a pu constater que la spécificité de la diffusion des musiques actuelles et amplifiées en Bretagne venait surtout de la personnalité des acteurs qui s'impliquent dans ce développement culturel local. La diffusion musicale n'obéit pas toujours à des règles bien précises. Il peut y avoir une forte demande mais aucune offre faute de mobilisation des partenaires privés et institutionnels. En effet, l'aspect récent et dynamique de ces musiques génère également chez les personnes étrangères à ce milieu, l'image d'une expression culturelle très instable et par conséquent incertaine dans la finalité.

La population bretonne semble apprécier autant la sortie à des concerts de groupes locaux ou internationaux comme la pratique de la danse traditionnelle dans les fest-noz même si ces derniers sont plus fréquents et connaissent une progression impressionnante surtout en Basse-Bretagne. On peut y voir d'une part un accroissement de l'intérêt pour la culture musicale actuelle et traditionnelle mais d'autre part on discerne une tendance vers un retour à un esprit de sortie en groupe, en réaction envers l'individualisme qui caractérisait les rapports sociaux dans les années 80. Le concert a alors une fonction manifeste de renforcement des liens affectifs et objectifs entre les différentes personnes qui se définissent comme amis et se sont souvent rencontrés dans les lieux de diffusion lors de concerts ou fest-noz.

En même temps, le nombre des groupes est en constante évolution. Certains même deviennent professionnels et se produisent sur scène en Bretagne et ailleurs avec le soutien de petits labels pour la diffusion de leur disque alors que les industries multinationales du disque semblent un peu dépassées par cette évolution. Les acteurs qui encadrent ce développement commencent également à se structurer et se professionnaliser.

Cependant cet engouement pour les pratiques musicales n'est pas assez aidé par les différents partenaires institutionnels et privés alors qu'il devrait être accompagné car il s'agit là d'un réel développement culturel et économique. On peut regretter que certains secteurs géographiques et associatifs soient moins favorisées que d'autres dans les aides à la diffusion. Afin de remédier à ce déséquilibre, la création d'une structure régionale permettrait d'harmoniser le système de production et de diffusion musicale.

L'approche géographique de la diffusion spatiale de la pratique des musiques actuelles en Bretagne contribue à une meilleure compréhension de ce système culturel et économique assez complexe. Cette étude à l'échelle régionale a permis avant tout de procéder à un premier inventaire des acteurs, des publics et des lieux de diffusion. Cependant, si on veut pérenniser ce système, les différents organismes concernés par son évolution devraient mettre en place une structure d'observation des musiques actuelles au niveau de la région afin de réaliser un suivi diachronique de tous les éléments du système et notamment des groupes, les éléments les plus méconnus du système.

Un observatoire des musiques actuelles à l'échelle de la Bretagne semble alors rentrer dans une logique pertinente car il permettrait de collecter toutes les informations utiles aux musiciens comme aux producteurs, aux partenaires comme au public. L'information très hétérogène et qui ne circule pas auprès tous les interlocuteurs de la diffusion musicale bénéficierait alors d'une référence et d'une base de diffusion de qualité ouverte à tous. Cet outil pourrait également jouer un rôle de lien entre les acteurs qui seraient mis ainsi en relation par ce réseau et permettrait ainsi la coopération en faveur du développement de la diffusion musicale sur un plan régional.


  Suite


  Retour sommaire




1

RIOCHE.A, GUINARD.B, VIOUX.Y, op.cit, p.30.

2

à noter que la société DCA qui produit le festival emploie aussi du personnel à l'année pour Saint-Nolff et d'autres productions.

3

DAUPHINÉ André, op. cit, p.12.

4

DAUPHINÉ André, op. cit, p.13