3.2 - UNE LOCALISATION TRES INÉGALE EN BRETAGNE.
3.2.1 - LES FACTEURS DE LOCALISATION DES LIEUX DE DIFFUSION.
Dans le cas des structures de diffusion qui fonctionnent à
l'année comme les café-concerts, le choix de la localisation
dépend souvent des opportunités de locaux qui se libèrent avec
des possibilités de récupération de licence de débit de
boisson. Ensuite il existe de nombreux facteurs déterminants
pour l'implantation d'une structure de diffusion fixe ou un
festival (la demande potentielle du territoire concerné mais
aussi l'originalité du site et la capacité du lieu).
Le manque de structures de diffusion a souvent conduit les
diffuseurs de musiques actuelles à privilégier l'utilisation de
sites désaffectés comme les anciennes usines, dépôts, ou des
fortifications (bunkers, fort etc...) qui ressemblent plus à des
squatts sans aucune sécurité qu'à de véritables salles.
L'apparition des commissions de sécurité a entraîné une
augmentation du cahier des charges qui impose aux organisateurs
une recherche de site de plus en plus difficile.
A - Les
sites et le patrimoine exceptionnels.
Les organisateurs de festivals utilisent de plus en plus des
sites pittoresques en milieu rural afin d'atténuer les nuisances
sonores et d'améliorer le cadre d'accueil du public. Ainsi, de
site de défense voué à la guerre par Vauban, puis à l'état
de ruine par le temps, le fort de Chateauneuf à Saint-Père (35)
comme celui de Bertheaum à Plougonvelin (29) sont devenus des
sites culturels très prisés par les organisateurs et le public
de concerts. L'organisateur s'y retrouve car les
caractéristiques défensives des forts Vauban permettent de
limiter le coût de la sécurité (barrièrage, contrôle...).
Quant au public, il semble plébisciter ces nouveaux sites qui
deviennent l'espace d'un festival leur "temple" de la
musique. Dans le cas de La Route du Rock, l'enquête et les
entretiens menés lors de l'édition 97 montre qu'une partie non
négligeable du public vient également pour le site et son
désormais célèbre camping des douves qui devient alors le
symbole de la convivialité du festival. "Cette rencontre
entre un événement culturel et un élément du patrimoine crée
souvent, par une alchimie mystérieuse, une synergie dont
l'oeuvre qui y est donnée comme le lieu qui lui sert de cadre
sortent grandis "1.
En outre, les concerts contribuent indirectement à l'entretien
de ces lieux qui leur servent de cadre. Pour organiser le
festival de la Route du Rock l'association Rock Tympans loue le
fort de Chateauneuf pendant une semaine pour une somme de 42
000F. On peut également penser que ce type de festival entraîne
une redécouverte d'un patrimoine souvent méconnu et en état de
délabrement. Il permet en outre de lui redonner vie en le
valorisant. On constate alors que "les interactions entre le
déroulement d'événements culturels et la présentation, la
réhabilitation, ou la découverte par le public de monuments ou
sites patrimoniaux sont considérables."2
Voici quelques festivals bretons de musiques actuelles qui
utilisent et mettent en valeur un patrimoine souvent méconnu :
- La Route du Rock (Fort Vauban à Saint-Père Marc en
Poulet - 35)
- Supersonic Day (Fort Vauban de Bertheaume au bord
de mer à Plougonvelin - 29)
- Champs du Rock (Château en ruine à Saffré -
44)
- Vieilles Charrues (Domaine du Château de
Kerampuil à Carhaix - 29)
- Pénich'tro (Le canal d'Ille et Rance entre Dinan
-22 et Langon - 35)
- Les Nuits Celtes (Place de l'ancien couvent de
Muzillac - 56)
- Bourg en Zique (Village de Langon - 35)
- Astropolis (Château de Keriolet à Concarneau -
29)
- Jeudi du port (Port de commerce de Brest -29)
- Le festival des Tertres (Tertre de Saint-Gouëno
- 22)
B -
Contraintes techniques et administratives.
Comme toutes les manifestations publics de grandes envergures, le
cahier des charges des festivals est particulièrement important.
Il y a d'une part la commission sécurité avec les
représentants de la gendarmerie, des pompiers et de la
sous-préfecture qui accorde l'avis favorable si les conditions
optimales de sécurité sont respectées (notamment les accès au
secours). Il y a ensuite le volumineux cahier des charges
techniques qui doit permettre l'implantation d'une scène et de
plusieurs locaux pour l'organisation, les artistes et les
techniciens. La diffusion musicale consomme également beaucoup
d'énergie et tous les sites ne possède pas de lignes adaptées,
il faut alors avoir recours à des groupes électrogènes. Dans
le cadre de grands festivals qui durent sur plusieurs jours, il
faut prévoir également des sites d'hébergements pour le public
(camping) des points d'eau, des éclairages...
Les contraintes techniques deviennent alors un facteur
incontournable pour l'implantation d'un festival. Pour illustrer
ces contraintes, on peut citer l'exemple de La Route du Rock qui
en est déjà à son troisième changement de site. Après
l'exiguïté de la salle des associations de Saint-Malo, le
festival a déménagé en 1994 au fort Saint-Père mais en 1998,
le site du Fort a été interdit à toutes manifestations pendant
un an pour cause de déminage. Les organisateurs confrontés à
cette perte momentanée de site ont été obligés d'en chercher
un autre dans la région de Saint-Malo.
Cette recherche s'est révélée plus difficile que prévue pour
plusieurs raisons. Il y a d'une part le fait que la région
malouine soit limitrophe des Côtes d'Armor ce qui restreint le
champ de recherche à un petite partie du territoire puisqu'il ne
faut pas trop s'éloigner de la ville de Saint-Malo tout en
restant dans le département d'Ille et Vilaine. D'autre part le
cahier des charges de sécurité impose aux organisateurs de
trouver un site facile d'accès (au moins deux routes
carrossables) mais assez isolé pour les nuisances sonores... Ces
deux contraintes ont obligé les organisateurs à visiter une
grande partie des espaces disponibles sur la région malouine
avant de se rendre compte que la spécificité de la région
côtière touristique, agricole et relativement peuplée (200
hab/km2) empêchait l'implantation du festival en dehors du
secteur du fort de Saint-Père. L'édition 98 du festival a donc
eu lieu dans un simple champ derrière l'enceinte interdite. Ce
changement de site a entraîné un succroît de coût d'environ
700 000 à 900 000F.
C -
Recherche de la proximité d'un bassin de public potentiel.
La recherche de la meilleure implantation pour une salle de
concert ou un festival passe également par une étude du rayon
d'attraction de la structure de diffusion. Dans le cadre des
festivals, cette recherche de la proximité est moins importante
que pour une structure qui fonctionne à l'année et qui doit
fidéliser un public relativement proche dans un rayon de 0 à
30km (voir 1.2.1c). En raison de leur aspect ponctuel, la plupart
des organisateurs de festivals ne recherche pas forcément la
présence de grands centres urbains et s'implante plutôt dans
des sites agréables (voir 3.2.1a). Il faut cependant ne pas
oublier la spécificité géographique de la Bretagne qui est une
péninsule avec un réseau de moyennes et grandes villes sur ses
côtes et un Centre-Bretagne plus rural mais jamais très
éloigné de ces villes. La logique de l'implantation en fonction
du potentiel est un peu différente des autres régions
françaises. En outre la vocation touristique de la région
amplifie la demande et l'offre sur les côtes (au moins un
concert par semaine dans les grandes station) mais aussi en
Centre -Bretagne. De plus, la qualité du réseau routier breton
(voies expresses gratuites) permet une grande mobilité du public
de concert souvent jeune et n'hésitant pas à faire de la route
pour aller voir un concert ou passer un week-end sur un festival
à 200 kilomètres de chez lui. On note néanmoins que l'effet
distance joue quand même sur le public de festival. Il reproduit
le même système gravitaire que pour les petites salles de
concerts à une plus grande échelle. Suivant la notoriété du
festival, on peut avoir des gradients d'attraction très
différents.
Essai de modélisation du potentiel d'attractivité de public
de La Route du Rock.
Dans le cadre de l'étude sur l'origine géographique du public
de La Route du Rock, on a tenté de mettre en place un modèle de
potentiel d'attraction de public du festival en posant comme
postulat de départ que plus la commune est éloignée et
faiblement peuplée, moins elle est susceptible d'avoir des
habitants à fréquenter le festival. Cette réflexion est une
adaptation de plusieurs théories physiques comme "la
théorie gravitaire de NEWTON qui enseigne que toute particule de
matière exerce une attraction sur autre particule avec une force
proportionnelle aux deux masses et inverse au carré de la
distance qui les séparent. Cette théorie a été transférée
en géographie, sous différentes formes plus ou moins complexes.
Sous sa forme la plus simple le modèle gravitaire s'écrit :
Flux entre A et B = (Population de A * Population de B) /
Distance élevée au carré. "3
Au niveau de la recherche, les modèles d'interaction spatiale
dérivés de la théorie gravitaire sont plus complexes. De
multiples propositions ont été faites pour mieux inclure les
contraintes du réel. La logique dimensionnelle impose d'écrire
le modèle gravitaire classique sous la forme : Tij=K.Pi-Pj / dij
ou i et j sont deux pôles, d est la distance et K un coefficient4. Afin de
simplifier au maximum ces modèles et les adapter au mieux à la
spécificité des festivals, on a pris en compte la distance de
la commune et sa population de 15-30 ans (75% du public) pour
établir un premier potentiel : P = population de 15 à 30ans /
distance commune au festival.
Ce premier potentiel a été testé sur 3300 communes de Bretagne, Pays de Loire
et du département de la Manche. Il a été ensuite comparé aux données réelles
avec lesquelles on obtenait un coefficient de corrélation de 0,26, ce qui est
un peu faible pour assurer la fiabilité du modèle. En sachant que la fonction
distance n'agit pas de façon linéaire, on a testé une série d'exposants de 0,1
à 3 et il semble que 0,65 est le meilleur car il permet au potentiel (carte 12 - 140k) d'être étroitement corrélé aux données réelles avec une
corrélation de 0,95 le reste étant des résidus intéressants à étudier (carte
13). On suppose avec cet exposant que plus on s'éloigne du festival plus la
taille de la commune joue dans le potentiel alors que l'impact de la distance
est moindre dans la limite des 250 km. Au-delà, le modèle risque d'être différent.
La carte 12 permet de visualiser le potentiel des communes du nord-ouest qui
sont plus ou moins susceptibles d'être émettrice de public vers le festival
de Saint-Malo. Grâce au fichier du public de la Route du Rock 97 créé à partir
des 6500 coupons renvoyés par le public pour obtenir le Cd offert avec la place,
nous avons pu comparer le potentiel avec la réalité dans la carte 13(140k). Cette comparaison nous permet déjà de constater d'une part
que la corrélation est très importante et d'autre part elle permet de visualiser
les zones géographiques où les habitants semblent être plus ou moins sensibilisés
par le festival. On observe ainsi que les effectifs théoriques sont sur-représentées
dans les Pays de Loire et notamment en Loire-Atlantique, Vendée, Maine et Loire
et Sarthe. Quelques foyers "émetteurs" sont néanmoins observés autour
d'Ancenis (44) et de Mayenne (53). Il s'agit peut-être de secteurs très jeunes
et sensibilisés à ce style musical par l'intermédiaire d'associations.
En Bretagne, on observe une surestimation de toute la côte sud
de l'estuaire de la Vilaine à celle de l'Odet alors que
l'arrière pays est sous-estimé avec des foyers très émetteurs
autour de Vannes, Redon et surtout Ploërmel. On peut constater
qu'il y a beaucoup public à venir des communes du centre est
Bretagne comme Maurons, Ménéac et Loudéac. Ceci peut être
corrélé avec l'existence de festival de rock dans ces communes.
En effet, le milieu associatif dans ces communes semble créer
une dynamique de développement culturel par la diffusion
musicale alors qu'il s'agit d'un milieu rural faiblement peuplé.
Contrairement à la côte sud, la côte nord semble plus propice
au festival notamment autour de Saint-Brieuc, Morlaix, Lesneven,
et Brest quatre villes relativement dynamiques dans le domaine
des musiques actuelles. On peut autrement citer deux cas
particuliers, celui des communes autour de Douarnenez dans le
Finistère sud et de Saint-Lô dans la Manche en région
Basse-Normandie qui ont un taux d'habitants très motivés par le
festival par rapport à la distance qui les éloigne de
Saint-Malo.
Le bassin de Rennes, Vitré et Fougères sont les grands secteurs
géographiques sensibilisés par la Route du Rock en Ille et
Vilaine alors que les habitants des communes du Pays de
Saint-Malo et de Dinan ne semblent pas très adeptes de ce genre
de manifestation hormis quelques communes côtières (Saint-Malo,
Saint-Coulomb ou Cancale). On peut noter que la population de
quelques communes de la rive gauche de La Rance telle que Dinard
ou Pleurtuit, rive opposée du festival, est très nettement sous
représentée par rapport à leur taille et leur distance au
festival. On observe néanmoins quelques communes plus
réceptives à ce genre de manifestation mais de façon assez
disparate et correspondant certainement à un groupe de personnes
se connaissant. Cette observation de la mesure de l'écart entre
le potentiel et la réalité permet de démontrer la
spécificité du public breton plus sensibilisé au festival que
le public d'une région voisine comme les Pays de Loire. La
limite est relativement nette sur la carte avec une zone bleu qui
représente la sur représentation et qui est calquée sur le
contour de la Bretagne.
3.2.2 - LA "DIFFUSION" DE LA RÉPARTITION SPATIALE DES CONCERTS DE MUSIQUES ACTUELLES ET AMPLIFIÉES.
A - Les
formes de la diffusion spatiale.
On appelle processus de diffusion spatiale le phénomène de
propagation dans le temps et sur l'espace d'un élément simple
ou complexe. Cette définition d'André Dauphiné correspond à
une prise en compte simultanée de l'espace et du temps ; elle
indique en outre que toute structure spatiale, par exemple celle
d'une ville, n'est qu'un état d'un tel processus de diffusion.
Pour les physiciens, la diffusion est un processus de
redistribution dans l'espace de molécules ; trop concentrées à
un endroit, elles envahissent un espace plus vaste. Ainsi, le
morceau de sucre, qui fond dans l'eau, se mélange au liquide
dans toute la tasse de thé. Dans les sciences sociales, à
l'origine de toute diffusion se trouve une innovation ; elle peut
être d'origine matérielle, comme celle de la pomme de terre en
Europe au dix huitième siècle, ou d'origine sociale ou
culturelle, par exemple la diffusion de l'intégrisme religieux
au Moyen Orient. Dans le cadre de l'étude sur la pratique des
concerts de musiques actuelles en Bretagne, on peut également
parler du lieu de concert comme innovation génératrice de
diffusion et de la pratique musicale.
Pour que ce processus se développe différentes conditions
doivent être remplies. "Le lieu d'apparition doit jouer le
rôle de foyer émetteur ; toutes les théories économiques ou
sociales attribuent cette fonction aux grands centres urbains. En
outre, des adopteurs potentiels doivent exister. Des
possibilités de contacts doivent exister pour faciliter la
diffusion de l'innovation. Une structure trop hiérarchique, ou
inversement organisée, sont des freins à l'innovation : dans
les deux cas les interactions entre les différentes composantes
du "géosystème" sont réduites et paralysent la
circulation de l'information. Enfin, le temps est un élément
déterminant ; la diffusion d'une mode doit se faire en quelques
semaines, tandis que celle du maïs en France a demandé plus
d'un siècle"
Il existe quatre formes de diffusion:
- diffusion linéaire : suit des canaux de diffusion (axes
routiers, réseau de ville...)
- diffusion par contagion : (cf T. Hägerstrand, 1968) Le
rôle de la distance est alors essentiel.
- diffusion hiérarchique : La mode, le cinéma suivent
les niveaux de la hiérarchie urbaine, et tel film ne pénètre
que tardivement le monde des campagnes comme en musique la
tournée de groupes qui ont un gros succès. L'organisation de
l'espace et des pouvoirs, étroitement associés, est alors
déterminante.
- diffusion au hasard : Le terme de hasard a un sens
purement probabiliste. (...) Le hasard est alors le produit de
multiples causes, dont les impacts sont difficiles à séparer.
D'après André Dauphiné, en règle générale, la diffusion
spatiale réelle est une combinaison complexe de ces quatre
schémas simplifiés qui peuvent être regroupés en deux grands
types :
- diffusion par extension : La conquête du territoire
s'effectue de proche en proche sans que diminue l'intensité du
phénomène ou la diversité des éléments diffusés dans les
foyers les plus précocement atteints. La diffusion correspond à
une expansion géographique de l'innovation.
- diffusion par migration : Phénomène qui se diffuse, de
proche en proche, mais en se déplaçant, en migrant. Les centres
initialement atteints sont dans ce cas abandonnés, ou affaiblis,
au profit de zones proches qui deviennent, plus ou moins
provisoirement, des régions de repli pour les éléments
migrants.
Dans le cas de la diffusion spatiale du phénomène des musiques
actuelles il semble qu'il s'agirait d'une combinaison de ces deux
types car si le phénomène se développe et perdure, on observe
néanmoins un roulement des acteurs et des publics des musiques
actuelles. En ce qui concerne les acteurs, beaucoup d'entre eux
ont une vie faite de mouvement ; la création d'un festival ou
d'une salle de concert entraîne ensuite la création d'autres
activités dans un autre lieu. De même, le public de concert de
musique actuelle et amplifiée est souvent jeune et s'identifie
à tel ou tel courant musical parfois entraîné par des
fréquentations scolaires, universitaires ou de travail même si
on constate souvent que sortit des études et rentrant dans la
vie active, une partie des étudiants se détachent un peu du
monde musical qu'ils fréquentaient de temps à autre. La
rentrée dans le monde du travail provoque un mouvement de repli
sur soi avec de nouveaux centres d'intérêt alors que le
système scolaire et universitaire permet une diffusion des
intérêts culturels grâce aux rencontres qu'il permet et au
temps libre.
B - Les
canaux de la diffusion spatiale des musiques actuelles.
Les canaux de la diffusion spatiale des innovations sont ceux
qui, dans l'espace géographique, assurent le contact entre
émetteurs et récepteurs potentiels de l'innovation. Il existe
deux types de canaux :
- Les canaux de voisinage : Le processus de diffusion se
développant largement par contagion, les probabilités de
contact diminue avec la distance. Cette distance peut être
physique, évaluée en kilomètre, en temps, en coût de
transport. Elle peut être aussi économique, culturelle ou
psychologique.
- Les canaux de la hiérarchie urbaine : "Le degré
de proximité de deux lieux dépend, non seulement de leur
distance dans l'espace physique, mais aussi de la position
relative qu'occupent ces lieux dans l'organisation du territoire.
Le système des lieux centraux offre donc à la diffusion des
canaux privilégiés de propagation. Du fait de la diversité, de
l'intensité, du nombre des interactions qui s'y manifestent et
bien entendu du nombre des adoptants potentiels qui y sont
réunis, une grande ville a des probabilités plus grandes de
devenir un centre émetteur puissant qu'une petite ville. Enfin,
et pour les mêmes raisons, les probabilités que le message soit
transmis, que le contact ait lieu, que l'innovation soit
diffusée, sont beaucoup plus grandes de la grande vers la petite
ville, du sommet vers le bas de la hiérarchie urbaine qu'en sens
inverse."5
Mais ces effets peuvent également être combinés ; en outre,
d'autres effets peuvent se combiner ou les exclure : "Effets
de hasard, effet de caractéristiques du marché indépendantes
de la hiérarchie urbaine, effet de l'existence d'une
organisation centralisée ou décentralisée du processus de
diffusion, de la réalisation de ce dernier en système
concurrentiel ou non concurrentiel. Chaque cas est donc à
considérer avec toute l'attention qu'il mérite. Les
régularités que l'on voudrait à tout prix retrouver peuvent en
occulter d'autres, au moins aussi importantes" 6. La diffusion
spatiale de la localisation et de la pratique des concerts de
musiques actuelles en Bretagne est très spécifique et assez
différente des autres régions françaises. En effet, les
musiques actuelles et amplifiées ont eu un développement à la
fois en milieu urbain comme dans les autres régions mais aussi
dans un milieu rural parfois très éloigné des réseaux
urbains. Les canaux de la diffusion par hiérarchie urbaine sont
donc relativement moins vérifiés qu'ailleurs.
Le phénomène de contagion est peut-être plus vérifié en
Bretagne car il suffit qu'une salle de concerts ou une
association se localise dans une zone pour constater qu'il
devient le centre d'émission de la diffusion de la pratique des
concerts (musiciens comme public) dans les communes
environnantes. On peut citer l'exemple de l'action de
l'association des Tertres de Saint-Gilles du Méné au coeur du
Pays du Méné qui a créé une dynamique musicale dans ce
territoire rural avec l'organisation de concerts, de festivals et
de fest-noz dans plusieurs communes environnantes. Le
café-concert joue aussi un rôle d'animateur et de diffuseur
musical local.
Il y a également des villes qui deviennent un centre de la
diffusion, à l'exemple de Rennes qui a vu le nombre des
bars-concerts se développer dans le centre-ville autour de la
Place Saint-Anne avec une propagation de cette activité de la
rue Saint-Malo, berceau des concerts rock à Rennes, vers la rue
Saint-Michel (appelée également rue de la soif) et quelques
rues tangentes. On dénombre actuellement près de 50 lieux de
concerts à Rennes, une centaine de groupes et une dizaine
d'associations productrices de groupes et de concerts. D'autres
villes de la même taille dans l'ouest n'ont pas forcément le
même développement qui est donc dû également au hasard et à
une somme d'individus motivés qui permet la création d'un pôle
de diffusion.
C - Les
barrières de la diffusion spatiale des musiques actuelles.
On a constaté qu'en Bretagne, la diffusion des pratiques
musicales amplifiées et actuelles suivait un processus par
contagion à proximité d'un lieu ou d'individus
"émetteurs". Cependant, s'il existe des canaux
favorisant la diffusion, il existe également des barrières la
freinant. Thérèse Saint-Julien en propose trois types 7 :
- Les barrières absorbantes : A leur proximité, le
processus est stoppé. Tout se passe comme si toute son énergie
de propagation était complètement absorbée par l'obstacle. On
distingue communément d'ailleurs les barrières absorbantes qui
empêchent l'innovation de se propager, mais ne détruisent pas
l'émetteur, des barrières super-absorbantes qui, elles,
détruisent l'émetteur. La diffusion spatiale des musiques
amplifiées a souvent rencontré des barrières auprès des
autorités qui les jugeaient trop "nuisibles" au niveau
sonore et par leur esprit marginal. C'est ainsi que l'on a pu
constater que certaines communes d'assez grande taille ne
possédait même pas de petit lieu de diffusion (café-concert)
car il n'avait pas reçu l'autorisation de la municipalité ou de
la sous-préfecture. Les cahiers des charges imposés par les
autorités est également une barrière pour beaucoup
d'organisateurs. Il y a aussi la barrière de la faiblesse du
potentiel de public dans les zones rurales vieillissantes et
enclavées (cf Centre-Bretagne).
- Les barrières réfléchissantes : Le processus n'est
plus stoppé mais réfléchi, renvoyer dans une autre direction.
Ce processus rejoint un peu le précédant quand il y a une
motivation stoppée par un processus. Quand les acteurs et le
public des concerts de musiques actuelles ne peuvent se
rencontrer du fait des interdits municipaux ou du manque de
structure et de public, ils cherchent alors une autre localité
plus propice à la diffusion musicale et on retrouve alors les
pôles de diffusion qui concentrent ces lieux de diffusion
musicale.
- Les barrières perméables : La révolution des
transports et des télécommunications a souvent transformé des
barrières physiques absorbantes en barrières plus ou moins
perméables. Le degré de perméabilité des barrières
politiques, douanières, religieuses, culturelles, linguistiques
varie dans le temps et dans l'espace pour un processus de
diffusion donnée. On doit d'ailleurs noter que l'efficacité des
barrières varie avec l'intensité des pressions qui s'exercent
sur le processus de propagation. L'amélioration du réseau
routier breton, la création de réseaux entre les lieux de
concerts isolés et le développement des outils d'informations
des publics a permis de désenclaver des zones devenues plus
attractives pour la diffusion de concerts.
D - Les
échelles et les étapes de la diffusion spatiale de l'innovation
culturelle musicale.
Le processus de diffusion spatiale a plusieurs échelles et suit
deux étapes. Thérèse Saint-Julien divise la diffusion en trois
échelles micro, meso et macro 8 :
- la micro-échelle serait celle où les processus
dépendraient principalement des comportements individuels. Très
souvent, par exemple, les auteurs classent dans cette catégorie
les innovations culturelles, où la transmission s'effectue
après une observation directe et parfois prolongée, qu'implique
toujours un contact entre l'innovation et l'adoptant potentiel.
Cette échelle est la plus adaptée à la pratiques des concerts
de musiques amplifiées.
- à meso-échelle, la dominante des comportements
individuels est très atténuée. Cette méso-échelle pourrait
être par exemple l'échelon régional ou national. L'échelle de
la Bretagne est adaptée à la diffusion des grands événements
comme les festivals spécifiques à la région.
- à macro-échelle, le rôle des comportements
individuels est progressivement gommé ; cette échelle serait
celle, par exemple, de la diffusion internationale. Plusieurs
processus concernent, en outre, successivement ou simultanément,
différents échelons géographiques. A cette échelle, on
étudie plus les systèmes de production et de distribution des
artistes dans une logique économique ou l'espace est un facteur
moins important.
La diffusion spatiale suit également des étapes bien distinctes
pendant son processus. Selon la terminologie proposée par
Hägerstrand (1953), elle se décompose en quatre étapes :
1 - Le stade primaire ou de démarrage du processus
: il correspond à l'amorce du processus de diffusion et
à l'apparition des premiers centres ayant adoptés l'innovation
comme les cafés-concerts et les associations pionnières dans le
milieu musical en Bretagne. A ce stade, la diffusion introduit
une opposition nouvelle et très forte entre les centres et le
reste de l'espace. En Bretagne, le centre peut être un milieu
urbain dans son ensemble (Rennes) ou un lieu de diffusion dans
milieu urbain ou rural (l'UBU ou Run ar Puns à Chateaulin).
2 - L'étape d'expansion : elle est la période au cours
de laquelle se développe le processus proprement dit. Le
développement se traduit par un effet centrifuge puissant, qui
aboutit à la création de nouveaux centres, en croissance plus
rapide dans les zones éloignées, et à la réduction des plus
forts contrastes. En région Bretagne, des festivals se créent
un peu partout et assez éloignés des centres comme Rennes et
Brest avec une progression plus rapide (Les Vieilles, Charrues,
Festival de Saint-Nolff ou la Route du rock)
3 - L'étape de condensation ou consolidation : au
cours de cette étape, l'augmentation relative de la
pénétration de l'innovation tend à être beaucoup moins
contrastée entre les centres initiaux et les espaces
périphériques. A son terme, la croissance relative est à peu
près la même dans l'ensemble de la zone.
4 - L'étape de saturation : c'est l'étape au cours de
laquelle la diffusion croît de manière asymptotique vers un
maximum. Cette étape n'est pas encore atteinte dans le cas des
festivals. il faudra observer l'évolution des cinq prochaines
années. On constate néanmoins que des festivals ou des salles
de concerts de musiques actuelles ont une fréquentation qui
dépend largement de leur programmation, des conditions
climatiques pour certains d'entre eux, de l'effet de mode et de
la conjoncture économique. Actuellement, on observe une reprise
de l'activité culturelle avec une forte demande et une explosion
de l'offre et de la qualité des prestations musicales
proposées.
CONCLUSION DE CHAPITRE 3
Dans ce chapitre, on a pu constater que la diffusion des musiques
actuelles et amplifiées en Bretagne utilisait une grande
variété de lieux n'obéissant pas toujours à des règles de
localisation précises. De la ferme du Gwernaudour de Braspart
dans les Monts d'Arée au club de l'UBU au centre de Rennes comme
du festival Totem dans la nuit de Ménéac au Transmusicales de
Rennes, le type de diffusion des concerts en Bretagne est très
différent et l'un des plus "riche" culturellement en
France.
Contrairement à d'autres régions françaises, le spectacle
musical en milieu rural est toujours très présent grâce à
cette couverture originale du territoire par des petits lieux de
diffusion musicale très ancrés dans la culture locale.
Cependant, ces équipements et ces festivals existent aussi par
l'intérêt de quelques pouvoirs publics mais surtout par la
volonté de personnes passionnées par les musiques actuelles et
qui pour certaines espèrent en vivre.
1
DECHARTRE Philippe, Evènement culturels et développement local, op. cit, p 175.
DECHARTRE Philippe, Evènement culturels et développement local, op. cit, p 172.
DAUPHINÉ André, Les modèles de simulation en géographie », Paris, Ed. Economica, 1987, p.133-134
En outre, dans cette version de base, le modèle gravitaire présente une lacune : le modèle ne contient aucun mécanisme mathématique assurant que les flux calculés, issus d'une région soient égaux au flux observés, qui sortent de cet espace. Et cette lacune caractérise aussi les entrées. A.G. WILSON (1970) proposa trois solutions pour tenir compte de cette contrainte, et modifier le modèle initial. Le modèle respectant la contrainte d'égalité des flux au départ se formule : Tij = AiOiPj / Cij où Oi sont les départ observés d'une zone i, Pj reste la mesure d'attraction de la zone, soit Mj / Dij, Cij est le coût de déplacement entre les zones i et j (il représente la distance), Ai est une variable qui remplace la constante K. (Ai = 1 _ Pj.Cij).
SAINT-JULIEN Thérèse, op. cit, p.10
SAINT-JULIEN Thérèse, op. cit, p.13
SAINT-JULIEN Thérèse, op. cit, p.14
SAINT-JULIEN Thérèse, op. cit, p.16.