PREMIÈRE PARTIE : LA DEMANDE ET L'OFFRE DE DIFFUSION MUSICALE AMPLIFIÉE.


CHAPITRE 1 : LA DEMANDE DE MUSIQUE ACTUELLE ET AMPLIFIÉE.


INTRODUCTION DE CHAPITRE 1


Avant d'analyser le système de diffusion des musiques actuelles amplifiées, il apparaît fondamental de bien définir ce champ culturel très spécifique de la musique d'une part et d'autre part de savoir à qui elles s'adressent, dans quelles conditions et leur évolution. La demande sera dans un premier temps analysée dans sa globalité à l'échelle nationale puis affinée à l'échelle régionale afin de mieux cerner les spécificités du public breton.

1.1 - L'EVOLUTION DES PRATIQUES MUSICALES "AMPLIFIÉES".


1.1.1 - L'EMERGENCE DES MUSIQUES AMPLIFIEES.



A - Définition de la musique amplifiée

La musique amplifiée est définie par le fait qu'elle utilise une pré-amplification sonore de l'instrument, de l'ordinateur, ou de la voix permettant ensuite de travailler les fréquences avec des effets permettant ensuite d'être diffusée par une sonorisation qui peut atteindre un niveau élevé. Cette spécificité nécessite alors des conditions spéciales d'aménagement des lieux de répétitions et de diffusion de ce genre musical. Selon Philippe Paraire la musique amplifiée " comprend différents styles qui ont vu le jour depuis qu'un courant de la musique populaire a utilisé l'électrification comme élément premier de création (rock, jazz, pop, rap, techno, dance...). (...) Elles sont plurielles et fédératrices et se fondent de plus en plus sur le métissage sonore et culturel. Ce pluralisme permet de faire évoluer dans un tout, dans un ensemble, une variété incroyable d'opinions, d'expressions et de volontés."
1

Enfin, le journaliste et historien du rock Yves Bigot pense que les musiques amplifiées sont identifiables par "l'électrification et les technologies qu'elles utilisent largement, s'apparentent à la ville dont elles imitent les bruits stridents et violents et dans laquelle elles puisent les sujets et les revendications qui les constituent. Ces musiques s'inscrivent dans notre temps, aussi bien par leurs formes musicales que par leurs revendications. De façon lisible (à mots ouverts), et de façon illisible (dans leur forme musicale), elles revendiquent en se procurant une identité"
2


B - Historique

Apparu dans les années 60, le courant musical ROCK n'a cessé de croître et de se diversifier. Les "baby-boomers" premiers adeptes de la musique rock sont devenus à leur tour des parents sensibilisés aux musiques amplifiées, ce qui a permis aux jeunes générations de baigner à leur tour dès le plus jeune âge dans ce style d'expression culturelle et musicale. Ce qu'on appelle actuellement "rock" n'a plus grand chose à voir avec son apparition.

Dans les année 60, la musique amplifiée symbolise le conflit de génération, dans les années 70, il conteste la société. Dans les années 80, les paroles du rap supplante l'importance de la musique qui reste cependant une base de travail musicale et amplifiée. Dans les années 90, la musique amplifiée devient un secteur économique en plein essor et la techno devient à son tour l'expression de l'indépendance face au système. La musique amplifiée est un secteur privilégié de l'exploration de nouveaux horizons culturels.



C - Les facteurs de développement de la musique amplifiée.

L'évolution technique est sans doute le facteur le plus important dans l'émergence des musiques actuelles amplifiées. " Ce qui était encore dans les années cinquante une pratique exceptionnelle réservée à une minorité de mélomanes est devenue avec la généralisation de l'équipement des ménages en matériels audiovisuels une pratique banale, quotidienne pour la majorité des jeunes générations"
3 . En effet, on peut constater l'augmentation qualitative régulière des conditions d'écoutes de musique (CD, baladeurs) ainsi que la baisse du prix du matériel de musique (guitares, amplis, samplers, claviers, etc...). Les enquêtes du Ministère de la Culture démontrent la tendance des Français à s'équiper de plus en plus en matériel HI-FI, vidéo. On note qu'en 1973, 8% seulement des Français possédaient une chaîne HI-FI pour 56 % en 1985 et certainement plus en 1995 car 92% des 12-25 ans déclaraient posséder une chaîne HI-FI ou poste stéréo, et surtout 79% d'entre eux possèdent un baladeur. Ceci explique que "49% des jeunes de 15 à 24 ans (contre 21% en moyenne chez les français) écoutent tous les jours, ou presque de la musique enregistrée, et près d'un jeune sur deux en écoute dix heures et plus par semaine. De plus, 57% d'entre eux écoutent fréquemment de la musique pour elle-même, sans rien faire d'autre"4. On observe également la croissance des ventes de disque depuis la révolution CD malgré les prix prohibitifs pratiqués par la distribution.

En outre, "le développement des radios musicales sur la bande F.M. et, dans une moindre mesure, celui des chaînes télévisées diffusant principalement des clips sur le réseau hertzien comme M6 ou sur le câble ont par ailleurs contribué à accroître la durée d'écoute musicale."
5 Où que l'on soit, la musique est devenue omniprésente. On la retrouve dans les grandes surfaces, dans la voiture, dans les bars etc...On ne s'étonnera pas alors "qu'un Français sur trois écoute de la musique au moins un jour sur deux "d'après Paul Yonnet6

Suivant la technique, la révolution sociologique est également un facteur important du développement des musiques amplifiées. On constate que la société française semble malgré la crise aller de plus en plus au spectacle et notamment aux concerts et aux soirées techno plus communément appelées "rave". De plus la pratique d'un instrument semble également en pleine progression notamment chez les jeunes. D'après le DEP "faire de la musique est essentiellement juvénile"(21% de 15-19 ans pour 8% des plus de 35 ans) mais les pratiques musicales sont essentiellement vécues à l'enfance et abandonnées au fur et à mesure de l'entrée dans la vie active. Enfin, les institutions ont également opéré une grande évolution en reconnaissant la valeur artistique des musiques actuelles. D'après les enquêtes menées par le Ministère de la Culture, les collectivités ont pris conscience du phénomène musical et augmentent de plus en plus la part de leur budget consacré à la diffusion musicale amplifiée.


 


1.1.2 - LA PLACE DE L'ÉCOUTE DE LA MUSIQUE AMPLIFIÉE DANS NOTRE SOCIÉTÉ.


Les statistiques du Fonds de Soutien
7montrent que les concerts de rock généraient en 1995, 17,45% du total des taxes versées soit un montant de 5,3 MF. S'y ajoute les autres styles musicaux amplifiés (jazz/blues à 2,91%, pop/rock variété à 16,07% et le funk/rap/fusion à 2,40%) on obtient alors 38,83% du total. La diffusion des spectacles vivants de musiques actuelles amplifiées représente donc plus du tiers des recettes des concerts en France. En outre, une grande partie des français ne va pas aux concerts mais écoute néanmoins de la musique au domicile ou dans la voiture, on constate alors l'importance de cette musique dans notre société.

En analysant le tableau ci-dessous, on réalise que le rock est le troisième genre musical écouté par les français après la chanson qui est une grande tradition française et la musique classique. Les hommes sont plus adeptes de rock et de jazz que les femmes. Cette différence s'inverse pour l'écoute de la chanson alors qu'elle n'existe pas pour la musique classique et la musique à danser. Plus on est âgé moins on écoute du rock, ce qui s'explique par son apparition dans les années 60. On constate d'ailleurs qu'au delà des 35-44 ans qui ont connu les débuts du rock quand ils avaient 20 ans on n'écoute pas vraiment ce genre musical. Les jeunes et les jeunes adultes écoutent également beaucoup de chanson, de jazz mais peu de musique à danser qui semble plus prisée par les personnes de plus de 35 ans. Quant à la musique classique, elle possède une répartition étonnante de son écoute car elle est présente dans toutes les catégories d'âge avec un maximum vers les 35-55 ans.

 

Tableau 1 : Les styles musicaux écoutés par les français par sexe et âge.


Sur 100 personnes de chaque groupe, écoutent

chansons

musique


classique

rock

jazz

musique pour danser

Hommes

39

22

25

14

10

Femmes

47

24

16

9

10

Par classe d'âge

         
15 à 19 ans

51

10

53

11

2

20 à 24 ans

51

18

43

18

4

25 à 34 ans

54

21

32

16

5

35 à 44 ans

52

31

17

14

12

45 à 54 ans

45

29

7

12

18

55 à 64 ans

32

25

2

5

15

65 ans et plus

21

18

1

2

10

TOTAL

43

23

20

11

10

source : Olivier DONNAT, Les Français face à la culture », 1989.


Le tableau 2 est également très intéressant car il montre que le rock est écouté par toutes les catégories de la population à l'exception, des retraités, ce qui est normal vu leur âge, et des agriculteurs. Par contre, la musique classique et le jazz restent l'apanage des classes sociales dites "supérieures" alors que la chanson est plus privilégiée par les ouvriers, employés et professions intermédiaires. Les agriculteurs, comme les retraités et les ouvriers semblent plus apprécier la musique à danser.

 

Tableau 2 : Les différents grands styles musicaux écoutés par les français en fonction de la profession et catégorie sociale du chef de ménage.


Sur 100 personnes de chaque groupe, écoutent

chansons

musique


classique

rock

jazz

musique pour danser

Agriculteurs

43

12

11

4

18

Artisans, commerçant

46

24

22

14

8

Cadres et professions intellectuelles
supérieures

36

51

31

30

5

Professions intermédiaires

47

31

28

18

8

Employés

54

21

26

12

8

Ouvriers qualifiés

56

16

26

9

12

Ouvriers non qualifiés

58

14

24

7

8

Retraités

27

19

3

4

12

Autres inactifs

36

5

19

8

9

TOTAL

43

23

20

11

10

source : Olivier DONNAT, Les Français face à la culture »


Ces statistiques d'Olivier Donnat, même si elles datent des années 80 corroborent l'idée que les musiques amplifiées sont par nature fédératrices, c'est à dire qu'elles regroupent des univers musicaux contrastés en même temps qu'elles rassemblent des individus issus de situations sociales hétérogènes. Cet état de fait, compris dans la nature de ces musiques, induit différents atouts sociaux qu'il est souvent bien difficile de trouver spontanément dans notre société. "Il s'agit par exemple pour les publics, de l'intégration individuelle dans une collectivité régie par des règles précises, de l'insertion des plus défavorisés dans un groupe socialement organisé et comparable à une micro-entreprise, de la constitution d'une cohésion et d'un espace de dialogue pour les différentes classes sociales concernées par ces musiques."
8

Les musiques actuelles amplifiées prennent toute leur envergure lors des concerts où la puissance sonore, l'éclairage et le jeu de scène des groupes amplifient l'intensité du disque. Certes, il existe des groupes qui ne parviendront jamais à reproduire sur scène la qualité de leurs enregistrements mais ce n'est pas toujours ce qu'attend le public d'un concert. Si certains veulent avoir une réelle reproduction "live" du disque, d'autres par contre attendent une innovation voire des titres inédits qui rendent le concert encore plus attrayant. Il apparaît donc important de comprendre qui sont ces publics.



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1

PARAIRE Philippe,  50 ans de musique rock », Paris, Ed. Bordas, 1995

2

BIGOT Yves,  Au nom du rock », Paris, Ed.Stock, 1995.

3

DONNAT Olivier,  Les Français face à la culture », Paris, Ed La Découverte, 1994.

4

CORMAN Philippe,  Les enjeux d'une prise en compte par les pouvoirs publics de pratiques musicales qui s'amplifient. » DESS Développement culturel, Université de Rouen, 1997. p.7.

5

DONNAT Olivier,  Les Français face à la culture », op. cit. p.211

6

YONNET Paul,  Jeux, modes et masses face à la Culture », Paris, Ed. Gallimard, 1985.

7

Les taxes parafiscales s'élèvent à 3,5% du prix du billet. Elles s'élevaient en 1995 à 30,7 millions de francs, ce qui permet d'estimer les recettes des billeteries à 877 millions de francs dont 66% sont des productions françaises

8

CORMAN Philippe, op. cit, p.40.