CHAPITRE 2 : LES MUSICIENS : ACTEURS PREMIERS DE LA DIFFUSION.
INTRODUCTION DE CHAPITRE 2
Tout comme l'écoute musicale, la pratique d'un instrument en
amateur ou en professionnel évolue de façon exponentielle
depuis les années 70. Une grande partie de ces musiciens
amateurs est assez jeune et réclame de plus en plus une
reconnaissance de cette expression artistique qui passe par la
diffusion sur scène de leurs oeuvres. Le musicien est avant tout
un passionné de musique, il peut aussi bien être dans le public
que sur la scène.
2.1 - L'AUGMENTATION DES MUSICIENS QUI VEULENT SE PRODUIRE.
2.1.1 - LES ARTISTES DE MUSIQUES AMPLIFIÉES.
L'artiste de musique amplifiée est dans la grande majorité des
cas intégré dans un groupe qui permet l'expression artistique
amplifiée. En effet, "seul, le musicien amplifié atteint
rapidement les limites de la pratique de son instrument. En
groupe, il a l'occasion de découvrir de nouveaux champs,
d'explorer de nouvelles musiques, mais surtout d'affirmer et de
faire reconnaître socialement son identité de musicien.
L'appartenance à un groupe permet de crédibiliser son statut.
Elle donne un sens à une démarche de création, valorise le
créateur et offre l'opportunité à celui-ci de concrétiser sur
scène et devant un public, tout un travail qui jusqu'alors
était dissimulé à l'avis critique, aux applaudissements,
autrement dit, à la reconnaissance publique."1
On peut donc voir en certains groupes une instance de
sociabilisation au même titre que les associations. L'évolution
récente des techniques musicales (boîte à rythme, sampleurs,
informatique) permet à un individu de recréer un groupe de
façon virtuelle mais ne bénéficie pas de l'apport artistique
d'autres individus extérieurs à son univers qui existe dans un
groupe.
D'après Pierre Mayol, en 1989 la pratique de la musique tout
genre confondu dans un groupe concernait 16% des 15-19ans et 10%
des 20-24 ans soit 1 million d'individus de 15-24ans. Beaucoup
d'entre eux participe à des harmonies, fanfares ou des groupes
de musiques traditionnelles qui ne rentrent pas dans le style
amplifié. Cependant, cela démontre bien que l'entrée dans la
musique et notamment dans un groupe de musique amplifiée se joue
dès l'adolescence même si beaucoup d'entre eux quittent le
groupe en rentrant dans la vie active.
La moyenne d'âge des musiciens exerçants dans un groupe de
musique amplifiée est de 24 ans. On peut regretter que seulement
91% des musiciens soient de sexe masculin même si la tendance
est à la diminution de cet écart. Les musiciens sont issus de
toutes les catégories socioprofessionnelles. On recense 22%
d'étudiants et lycéens, 26% de chômeurs et le reste ce
répartit chez le reste des actifs. Cela signifie que 48% des
musiciens sont sans profession et donc sans revenu parce que
"le parcours socioprofessionnel du musicien se présente
généralement, tant qu'il n'est pas devenu musicien
professionnel, comme une alternance entre boulots mal
rémunérés et des périodes de chômage. Ceci afin de mettre en
évidence le fait que de nombreux musiciens prolongent la
période d'adolescence, reculant ou refusant l'entrée sur le
marché du travail pour toutes les contraintes qu'il
impose."2
Jean-Marie Seca 3détermine la durée moyenne des groupes à deux
ans qui est selon lui le seuil qui aboutit au découragement ou
au contraire à une certaine reconnaissance même limitée à
quelques personnes. En outre, les groupes évoluent très vites
et nombreux sont les musiciens qui changent de formation
fréquemment avant de se stabiliser dans une définitive qui
procure ce que recherche un musicien (affinité musicale,
sociale, technique, etc...)
On peut également distinguer deux tendances de pratiques
musicales amplifiées ; la première serait une pratique de
groupe comme loisirs sans grande prétention artistique (souvent
ces groupes jouent des reprises) alors que la seconde serait la
volonté de création et d'investissement dans une oeuvre qui
peut éventuellement aboutir à une professionnalisation. Dans
ces deux cas, on observe que la pratique de la musique amplifiée
du côté amateurs met en évidence l'importance du temps libre
consacré à ce loisir qui peut éventuellement devenir un
travail pour une minorité d'entre eux. La pratique de la musique
est alors un révélateur de la mutation de notre société qui
tend vers une "civilisation du loisir" 4 permettant
ainsi une réalisation de l'individu par une activité qu'il a
choisi. Le travail ne devient qu'un élément moteur parce que
financier mais secondaire face à sa passion de la musique.
2.1.2 - CONSÉQUENCE DE L'AUGMENTATION.
A -
Aspect positif : Le poids économique des musiques actuelles et
amplifiées.
D'après les enquêtes menées par la Direction Etudes et
Prospectives du Ministère de la Culture, on peut estimer à 35
000, en nombre de groupes de musique amplifiée en France dont 25
000 débutants et 10 000 plus confirmés soit 6,6 groupes
(amateurs et professionnels) pour 10 000 habitants. Ces groupes
sont souvent rattachés à des réseaux souvent associatifs qui,
avec une moyenne de 10 groupes par réseau, on estime alors ces
réseaux à 3500. Si on pense qu'un groupe est constitué en
moyenne par 4 musiciens, on peut alors estimer le nombre de
musiciens amplifiés autour de 150 000. En ajoutant les personnes
accompagnatrice de groupe (de la famille, amis, fans aux
techniciens sur les tournées ou enregistrement) qui peut être
estimé à 6 personnes par groupe, soit un total de 200 000
personnes, on atteint alors un nombre de 350000 personnes
concernées de près ou de loin par la création et la diffusion
musicale amplifiée ce qui représenterait une moyenne de 10
personnes par commune ou 6 personnes pour 1000 habitants.
Des études faites auprès de musiciens amateurs et
professionnels démontrent qu'un groupe débutant (estimé à 25
000) investit en moyenne 40 000 F dans le matériel alors que des
groupes plus confirmés (estimé à 10 000) atteignent près de
100 000 F. Si on multiplie ces moyennes aux nombres de groupes,
on obtient alors deux milliards de francs d'investissement. Cette
estimation a été confortée par une étude5 sur la valeur
du matériel de 95% des groupes Nantais qui révélait que 8%
d'entre eux possédaient du matériel pour une valeur de 20 000
F, 45% pour 35 000 F, 35 pour 75 000 F et 7 % pour 100 000 F, ce
qui ramené aux 35 000 groupes cités précédemment revient à
presque 2 milliards.
Le sociologue Marc Touché a beaucoup travaillé sur les locaux
de répétitions qui sont les véritables lieux de création des
musiques amplifiées. Son étude sur le département des Yvelines
a montré que 65% des groupes répètent en moyenne une fois par
semaine contre 25% qui répètent jusqu'à deux fois par semaine.
En outre, il estime la durée moyenne des répétitions à 4
heures par semaine soit 200 heures par an et par groupe ce qui
représente une masse de 7 millions d'heures pour l'ensemble des
groupes français. "Si l'on considère quatre musiciens par
groupe, on a une moyenne de 28 millions d'heures-individus de
répétition par an. C'est l'équivalent de la masse horaire
d'une entreprise d'environ 20 000 salariés."6
D'après le centre d'Information et de Ressources des Musiques
Actuelles (IRMA), on recensait en 1995, un peu plus de 500 locaux
de répétitions avec un coût de location moyen de 71,50F
l'heure soit un volume total de 500 millions de francs en
comptabilisant la totalité des heures de répétitions sur une
année. Il s'agit là en fait de la principale dépense de
fonctionnement d'un groupe à laquelle on peut ajouter les
consommables telles que les cordes pour les instruments ou les
dépenses de transport entre autres.
L'augmentation de groupes demandant à se produire exerce une
forte pression sur les lieux de diffusion qui peuvent dorénavant
satisfaire de plus en plus le public. Si on se réfère à la
base de données de l'IRMA qui reste cependant très exhaustive,
on recense en France plus de 900 salles susceptibles de diffuser
un groupe de musique amplifiée dans de bonne condition. Si on
suit la classification de l'Officiel de la musique 97, la France
compterait 51 salles pouvant accueillir plus de 1200 personnes
dont 7 en Bretagne soit 13,7% du total. On recense également 100
salles de 400 à 1200 places dans l'hexagone dont 14 en Bretagne
soit 14% du total, le nombre de salles de moins de 400 places est
de 755 en France dont 61 en Bretagne soit 8% du total. Ces
chiffres ne sont cependant pas exhaustifs et ne tiennent pas
compte des salles multifonctions municipales qui servent de plus
en plus à l'organisation de concerts. Cependant ces statistiques
permettent de mieux cerner l'enjeu économique de la diffusion de
la musique amplifiée dans le remplissage des salles.
La musique amplifiée engendre également une demande de
formation dans plusieurs domaines : artistiques ( 114 centres ),
technique ( 57 centres ), théorique ( 10 centres ) voire
administratif (33 centres ). La plupart de ces centres de
formation sont des organismes publics ou parapublics. On retrouve
des organismes comme l'IRMA, mais aussi des conservatoires de
musique, des universités, ou des ADDM.
On peut AUSSI noter que le Groupe d'Etude sur les musiques
amplifiées (GEMA) prépare dans le cadre des deuxièmes
rencontres nationales Politiques publiques et musiques
amplifiées » 7 une étude sur l'approche de l'économie des
musiques amplifiées et/ou actuelles en s'appuyant sur le cas de
la Bretagne et des Pays de Loire.
Cette étude a deux objectifs :
"- identifier et décrire d'une façon aussi exhaustive que
possible la filière musicale amplifiée dans les régions
Bretagne et Pays de Loire : cela signifie repérer et décrire
tous les intervenants spécialisés ou non et tous les effets
liés directement à la pratique musicale amplifiée et/ou
actuelle (des amateurs et des professionnels) ou simplement
induits par elle ;
- évaluer avec un degré de précision aussi élevé que
possible le poids économique de cette filière en termes de
nombre d'entreprises concernées, de chiffre d'affaires, de
nombre d'emplois directs ou induits, de statuts des entreprises
et des emplois, etc."8
Le choix des régions Bretagne et Pays de Loire comme champs
géographique de l'étude du GEMA est révélateur de la
spécificité locale dans le domaine des musiques amplifiées. Le
GEMA précise également que le choix de ces deux régions
réside dans le fait qu'elles sont le siège d'activités
représentatives des évolutions récentes du champ musical
concerné ici, et en particulier, des nouvelles formes de
coopération et d'équilibre qui semblent se dessiner entre
initiatives du secteur marchand, actions militantes et
intervention croissante des collectivités publiques (Etats et
collectivités territoriales). En outre, il s'agit de régions
d'une taille relativement modeste et dans lesquelles une vie
musicale forte et diversifiée est ancrée sur de solides
traditions.
B -
Aspect négatif : structures inadaptées.
La nature même des musiques actuelles amplifiées impose à ses
pratiquants de trouver un local assez insonorisé, ce qui n'est
pas si évident en milieu urbain. Plus le musicien amateur joue
plus il recherche des conditions de répétitions confortables
car "l'amateur s'il veut progresser doit réunir tous les
éléments qui permettent d'évoluer vers l'épanouissement de sa
pratique. Or peu de lieux sont fonctionnels notamment concernant
les locaux de répétition. (...) Ces lieux de vie musicale sont
des espaces pour différentes activités liées à la diffusion
et à la pratique musicale. Les formes les plus évidentes sont
bien sûr, représentées par la salle de concert et le studio de
répétition. Il s'agit donc d'un type d'équipements culturels
particulier parce que conçu avec le concours de spécialistes de
l'acoustique, de la sécurité et animés par des personnels au
fait de l'évolution des courants musicaux."9 Avec
l'augmentation de la demande, on assiste à une saturation des
studios de répétitions et certains groupes n'hésitent pas à
répéter dans des caves, entrepôts désaffectés, voire pour
les irréductibles dans des bunkers quand cela se présente. Bien
évidemment, les conditions de sécurité et d'acoustiques ne
sont pas très appropriées et certains revendiquent cette
marginalisation à la base de leur création et de leur
indépendance.
D'après Marc Touché 10: 86% des musiciens n'ont pas de solutions
privées viables pour s'entraîner et répéter, 63% ont de très
grandes difficultés à trouver un point d'ancrage, refuge
musical, 91 % de ceux qui trouvent une solution vont s'enterrer
dans des caves, des sous-sols exigus, non aérés et non traités
acoustiquement même si c'est parfois un choix délibéré de
rester dans "l'underground". Or "aujourd'hui, ces
formes musicales, vers lesquelles s'orientent de plus en plus de
jeunes et de moins jeunes, sont à la base d'enjeux en termes de
formation, d'information, d'écoute, d'éducation, de pratiques
... Aussi nécessitent-elles des structures d'accueil adaptées.
Pour que le bruit qu'on leur reproche trop souvent de faire se
transforme pour tous en musique ou, du moins, ne dérange
personne, il faut donner aux musiciens les moyens de s'exprimer
dans de bonnes conditions."11
Il est primordial que les musiciens répètent dans des
conditions acoustiques correctes car "la musique amplifiée
peut entraîner dans le cas d'une amplification excessive du son,
des lésions irréversibles du système auditif."12 Or la
mauvaise acoustique des locaux de répétitions et des salles de
concerts est souvent une cause d'excès sonore car "tout
musicien est à la quête de son individualité et de son
territoire sonore au sein du groupe. Des lieux réverbérants
obligent à monter le volume des amplis pour s'entendre. La salle
est un instrument. Les équipements doivent non seulement
garantir l'imperméabilité de la structure à toute puissance
sonore (rapport au voisinage) mais aussi garantir, au regard des
limites du système auditif, des qualités d'écoute
satisfaisantes et sans danger."13
En Bretagne la demande est très importante en milieu urbain et périurbain mais
l'offre de locaux de répétitions n'est pas toujours adaptée et la suite logique
aux répétitions, c'est à dire l'offre studios d'enregistrements l'est encore
moins (voir carte 5 - 66k) même si elle est la plus forte des régions du nord-ouest.
Afin de cerner l'offre et la demande de studios de répétitions et d'enregistrement
des collectivités et des associations mènent des enquêtes auprès des groupes
qui y sont souvent réticents au début et comprennent ensuite leur intérêt en
explicitant leur demande. Une enquête sur les pratiques des jeunes autour des
musiques actuelles des jeunes dans les 32 communes du district hors Rennes menée
par la commission Culture du District de Rennes en mars 1995 montre que sur
les 28 communes qui ont répondu, on dénombrait 19 communes qui faisaient état
d'activités de jeunes constitués en groupe autour des musiques actuelles sur
leur territoire. 68 groupes ont été recensés dont 62 de rock, trois de musiques
traditionnelles, deux de variétés et un de jazz.
Le District compte 14 locaux de répétitions dont seulement
trois sont insonorisés, trois studios d'enregistrement et 16
lieux de diffusion (salles polyvalentes, centres culturels ou
écoles de musique) en dehors des lieux privés. L'enquête a
également permis de recenser les aides apportées par les
communes aux jeunes groupes. Cette aide consiste souvent en prêt
de locaux, de matériel et plus rarement en versement de
subventions de l'ordre de 2 à 3000 F annuels par groupe comme à
Cesson, Chartres ou Le Verger. En contrepartie, les groupes
s'associent souvent à l'animation de la commune en donnant des
concerts, pour la fête de la musique, des écoles, des
animations avec les commerçants, des soirées etc...
Depuis les assises sur la politique culturelle de Rennes en 1997,
un collectif d'associations pour le développement de musiques
actuelles est né pour défendre un projet d'espace de
répétition et d'information pour les musiciens du du district.
Ce collectif, un an plus tard, a inauguré "Le Jardin
Moderne" situé dans la ZI de la Route de Lorient. Cet
espace regroupe cinq locaux de répétitions dont un consacré à
la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) et un autre accessible
au DJ's. En outre, la force du projet réside dans l'espace
collectif qui permet les rencontres entres les artistes dans la
caféteria associative. Enfin, le collectif joue également la
carte de l'information et de la professionalisation des musiciens
avec un point info rock (gestion, droit, base de donnée, etc...)
On peut également citer une autre
enquête menée par l'édition Ouest-France de Saint-Malo qui
s'est intéressée aux groupes malouins, à leur musique, leurs
problèmes de répétitions et leurs attentes envers la
municipalité. Cette initiative est intéressante quand on
connaît les grandes difficultés rencontrées par les groupes
malouins pour répéter et se produire dans la cité corsaire.
Dans la série d'article de janvier 1996, on apprenait qu'il
existait environs 17 groupes de musiques actuelles amplifiées et
seulement deux petits locaux associatifs qui ne bénéficient pas
de grandes subventions municipales (voir projet d'un nouvel
équipement municipal 4.2.1 b).
1
CORMAN Philippe, Les enjeux d'une prise en compte par les pouvoirs publics de pratiques musicales qui s'amplifient. » DESS Développement culturel, Université de Rouen, 1997. p.18.
CORMAN Philippe, op. cit. p.20.
SECA Jean-Marie, "Vocation Rock", Ed. Méridien KLINCKSIECK, 1988.
DUMAZEDIER Joffre, "Vers une civilisation de loisirs?", Paris, coll Point, 1972, p.26.
Etude de la sociologue Catherine DOUBLE - DUTHEIL cité dans l'ouvrage de MIGNON Patrick et HENNION Antoine, "Le rock local, un rock : de l'histoire au mythe", PARIS/GIVORS,.Ed. Anthropos, p. 153.
CORMAN Philippe, Les enjeux d'une prise en compte par les pouvoirs publics de pratiques musicales qui s'amplifient. » DESS Développement culturel, Université de Rouen, 1997. p.26.
Ces rencontres auront lieu à Nantes les 1er et 2 octobre 1998 et seront suivies d'une publication des travaux comme pour les précédantes rencontres nationales d'Agen. Responsable de projet : Jean-Claude WALLACH , 19,villa Curial, 75019 PARIS.
GEMA, Première note d'intentions sur le projet d'étude, janvier 1998.
CORMAN Philippe, op. cit, p.87
TOUCHÉ Marc, "Connaissance de l'environnement sonore urbain - l'exemple des lieux de répétitions", CRIV / CNRS., Ministère de l'Environnement, 1994.
ROUMENGOU François, "Vocation culturelle à utilité sociale "in Dossier "La culture dans la ville" Territoires octobre 1994, p.18.
CORMAN Philippe, op. cit, p.88.
CORMAN Philippe, op. cit, p.89.